Numérique et santé: tout n’est pas résolu (Dr Marc Bouniton)

Le Ministre Vandenbroucke accorde une très grande place au numérique en matière de santé. Si le Dr Marc Bouniton, du Groupe de Réflexion et d’Action pour la Santé (GRAS) veut bien le rejoindre sur le plan des principes, il reste dans le concret bien du chemin à faire. Il nous brosse un rapide tour d’horizon des problèmes qui ne sont toujours pas résolus aujourd’hui.

Le ministre Vandenbroucke a déclaré récemment dans une interview que « les technologies médicales numériques sont une partie essentielle de soins de santé ». S’il a raison d’un point de vue théorique, il reconnaît aussi que ces données sont fragiles et malheureusement sujettes à des fuites. Le médecin ne peut pas garantir à son patient que le secret médical sera totalement garanti. 

Je n'apprends rien à personne en disant que l’anonymisation n’est pas une garantie absolument sans faille et que la pseudo-anonymisation l’est encore moins. Certains souhaiteraient imposer d’office cette pseudo-anonymisation des données en centralisant la clé de décryptage mais les experts attirent l’attention sur le fait qu’une forte centralisation augmente les risques. On nous assure qu’un cryptage est effectué de bout en bout. Il semble bien que ce ne soit pas le cas de tous les logiciels de dossier médical (DMI).

Minimiser les risques

Les faits de piratage existent, on ne peut pas garantir une sécurité à 100%. D’après les experts présents au colloque organisé par le GRAS ce 2/12/23, d’autres possibilités techniques de garantir la confidentialité des données ne sont pas assez valorisées, telles que la migration des algorithmes d’analyse plutôt que des données, ou la cryptographie monomorphique, qui analyse des données non décryptées. En croisant 15 banques de données, on peut retrouver un individu parmi des milliards. Dès lors, il s’agit de maximiser les bénéfices pour la société tout en minimisant les risques pour les patients. De plus, il faut reconnaître qu’il existe encore peu d’outils pour expliquer aux médecins et aux patients ces notions un peu complexes d ' « anonymisation différenciée » ou de pseudo-anonymisation. 

Les bugs ne sont pas rares

Les arguments souvent mis en avant par les défenseurs de la numérisation à tout crin sont ceux du gain de temps et de l’amélioration de la qualité des soins. Mais pour l’instant, le généraliste a plutôt l’impression d’essuyer les plâtres. Les bugs ne sont pas rares et il faut commencer la journée en vérifiant que ce n’est pas à nouveau le cas suite à l’implémentation de la dernière mise à jour du logiciel de DMI ou d’une défaillance de e-Health, sans compter le temps d’encodage et la perte de données suite au rachat successif de certains logiciels de DMI.

A chaque nouvelle application, il faut prévoir un temps d’écolage et de bugs pour un bénéfice réel pas toujours évident ; les exemples de la surveillance du COVID à domicile ou de Vacccinnet où il n’y a pas encore de lien avec le dossier médical du patient sont là pour le rappeler… Les MG sont payés pour encoder un maximum de données ; heureusement, les prochaines primes informatiques accordées par l’INAMI comprendront des critères qualitatifs dans l’item SUMEHR.

Renforcer la littératie numérique

A la fracture en littératie en santé s’ajoute la fracture numérique de certains patients auxquelles le MG doit faire face alors qu’il/elle est déjà débordé(e). Le temps passé à encoder des données explose quand les hôpitaux rançonnés envoient les résultats d’examen par mails (bonjour la confidentialité !) ou que les classifications différentes des éléments de santé (CISP vs CIM-11) obligent les infirmièr(e)s urgentistes à réencoder tous les items du SUMEHR dans les logiciels hospitaliers. 

Pour renforcer la littératie numérique, il faut prendre du temps pour expliquer aux patients le fonctionnement de la prescription digitale, l’accès à leurs propres données, etc. Ce serait bien si on pouvait confier à des intermédiaires la mission de fournir toutes ces explications aux patients. Là, les médecins gagneraient du temps. 

Au GRAS, nous pensons que la vigilance du citoyen – patient et de ses associations représentatives sur le contrôle de ses données de santé doit être encouragée par les pouvoirs publics qui doivent expliciter et garantir (entre autres par des moyens suffisants) les mécanismes de protection et de contrôle de ces cyberdonnées de santé. Ce ne sont pas les professionnels de la santé qui doivent le faire, ils sont déjà assez surchargés. 

Paranoïa de la vie privée

La France et le Royaume Uni nous envient nos réseaux d’échange de données de santé (RSW, Vitalink ou Abrumet) largement aux mains des généralistes mais les autres pays européens, surtout nordiques, nous considèrent nous, latins, comme sujets à une paranoïa de la vie privée. 

Mais, pour le GRAS, il faut reconnaître que l’EHDS (Espace Européen des Données de Santé) a plus vocation à booster le tissu économique européen qu’à améliorer la santé des patients.

On dispose de baromètres du traitement du diabète et de la prescription d’antibiotiques. Ne pourrait-on pas mettre sur pied un baromètre qui suivrait la qualité des prestations numériques ? 

On pourrait ainsi quantifier avec un tel baromètre le nombre de fois qu’un spécialiste, un membre de l’équipe multidisciplinaire ayant en charge le patient ou le patient lui-même consulte son dossier, ce qui semble encore peu fréquent à l’heure actuelle. 

Des questions en suspens

Au GRAS, nous pensons qu’il reste pas mal de questions en suspens dans ce domaine de la protection des données de santé et de leur utilisation secondaire à des fins de recherche ou de santé publique: 

1) Les acteurs privés (firmes pharma. p.ex.) devront-ils payer le même droit d’accès que les universités ou l’INAMI ? Cet argent pourra-t-il servir à financer les organismes de contrôle et de sanction ? 

2) Les requérants devront –ils fournir le protocole de leurs études et préciser ce qu’ils vont faire avec ces données ?  L’obligation de publication ou, à tout le moins, de mise à disposition des résultats de leurs recherches endéans un certain délai semble acquise au niveau européen.

3) Les données acquises pourront-elles servir ultérieurement pour d’autres investigations de ces acteurs ? Qui surveillera leur devenir une fois que les données auront été « pompées » ?

4) Comment peut-on éviter que ces données soient croisées avec d’autres banques de données susceptibles de lever l’anonymisation des patients concernés ?

5) Certains projets (p. ex. INAH) prévoient la possibilité de retour vers certains patients susceptibles de « bénéficier » de nouveaux traitements, de dépistages génétiques… via la pseudo-anonymisation de leurs données. Cela suppose-t-il leur accord formel ?

Bref, il reste bien du chemin à parcourir et surtout pour le GRAS, il faut que les autorités se concertent avec les représentants des acteurs sur le terrain avant d’imposer une informatisation à marche forcée. 

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.

Derniers commentaires

  • Jean-Paul PAYEZ

    01 janvier 2024

    Bonjour à 70 ans,je ne suis pas informatisé,Mais j’ai des Fiches Cartons pour Tous Mes Patients depuis 1980 ! Je ne Peux pas faire des Dossiers Dmg. Ni diabète ni Insuffisance Rénale ! OBLIGÉ D’ ORIENTER. Mes Patients vers des Confères, ce n’est pas Normal ! D’autant plus que je pratique des médecines Complémentaires =. Acupuncture Aromathérapie Phytothérapie Homéopathie Mésothérapie…Bien UTILE pour certains Patients ! Dr J-P. PAYEZ. Jemappes