Les médecins produisent la donnée, d’autres en décident l’usage. Au symposium de l’Association belge des présidents de conseils médicaux (ABPCM), qui s'est tenu ce samedi 25 octobre à Bruxelles, praticiens, institutions et mutualités se sont accordés sur la nécessité d’un pilotage par les chiffres… mais ont buté sur l’asymétrie d’accès aux données.
« La transparence, c’est du vent si les médecins n’ont pas les moyens de vérifier les chiffres », lance d’emblée Stan Politis, président du GBS. « On nous demande d’être data-driven, mais dès qu’il s’agit d’accéder aux indicateurs, tout devient une épreuve. Pendant ce temps, d’autres utilisent ces mêmes données pour évaluer nos performances ou fixer des objectifs budgétaires. »
Le décor est planté : les médecins produisent la donnée, mais d’autres en décident l’usage. Lieselot Brepoels, présidente du volet spécialiste de l’ASGB, enfonce le clou : « Toutes les parties qui exercent une responsabilité de pilotage doivent disposer des données pour le faire. Il n’y a rien de pire que de mener une politique sans tableau de bord. »
Pour Charles Chatzopoulos, président de l’ABPCM, impossible de séparer données financières et médicales : « On ne peut pas juger de la pertinence d’une décision sans voir l’ensemble. » Cette idée traverse tout le débat : la transparence n’a de sens que si elle est réciproque et si chacun agit à égalité d’information.
Une asymétrie qui mine la concertation
« On ne joue pas à armes égales », poursuit Stan Politis. Les mutualités disposent, dit-il, d’équipes d’analystes et d’un accès complet aux données, alors que les conseils médicaux doivent patienter pour obtenir des chiffres partiels. « Quand on nous demande de dégager 150 millions d’euros d’économies, nous n’avons même pas les moyens de comprendre sur quoi se basent ces calculs. On ne peut pas négocier à l’aveugle ni défendre un projet hospitalier sans données fiables. »
Sa colère vise moins la transparence que l’inégalité d’accès qu’elle révèle. « Ceux qui détiennent la donnée fixent les règles du jeu. Tant qu’on ne corrigera pas cela, la concertation restera un simulacre. »
Mickaël Daubie, directeur général Soins de santé de l’INAMI, reconnaît le déséquilibre : « Il faut résorber l’asymétrie d’information, c’est une condition de confiance. » Mais il insiste sur la dimension éthique : « Les données doivent servir à améliorer les soins, pas à nourrir la suspicion. Dans le modèle Value-Based Healthcare, elles sont un outil d’amélioration continue. »
Il annonce le lancement prochain dans ProSanté, la possibilité pour chaque prestataire de soins de consulter son profil d’activité et ses indicateurs. « Ce n’est qu’un premier pas, mais il est symbolique : la transparence doit commencer par soi-même avant de devenir collective. »
Entre ouverture des données et protection des patients
La solution viendra peut-être, pour une fois, de l’Europe. Plus précisément du futur Espace européen des données de santé (EHDS), dont l’objectif est de permettre l’usage secondaire des données – recherche, santé publique, innovation – tout en garantissant la protection du citoyen. « Si aucune raison valable ne s’y oppose, ces données devront être rendues accessibles, sous le contrôle d’une entité neutre chargée de vérifier le respect du RGPD », précise Inge Franky, EU Case Manager à la Belgian Health Data Agency (BHDA).
Mais sur le terrain, les médecins restent sceptiques. « Les sociétés scientifiques n’ont toujours pas accès à leurs propres registres. C’est une anomalie », déplore Stan Politis. Selon lui, tant que la Belgique n’aura pas clarifié les conditions de partage entre acteurs publics et privés, l’ambition européenne restera théorique.
Face à lui, Sofie Van Assche, directrice de l’Agence intermutualiste, défend une ligne de prudence : « Nous travaillons sur les données de quasi tous les Belges. L’idée que tout soit librement accessible n’est pas envisageable. » Elle plaide pour un équilibre entre ouverture et responsabilité : chaque demande doit être « ciblée, motivée et évaluer les risques pour la vie privée ».
Une interopérabilité encore en panne
À ce problème d’accès aux données s’ajoute celui de l’interopérabilité. Ce n’est pas nouveau. Malgré vingt ans de plans successifs, la Belgique peine à faire dialoguer ses systèmes numériques. « Les plans e-santé existent depuis Laurette Onkelinx, donc depuis Mathusalem », ironise Mickaël Daubie. « Moins on parvient à organiser les échanges, plus les initiatives locales se multiplient, et plus l’ensemble se complexifie. »
Une pharmacienne dans la salle traduit le sentiment général : « Cela fait vingt-cinq ans qu’on parle d’interconnexion, et nous n’en sommes toujours nulle part. »
La Dre Brepoels en donne un exemple concret : « Je suis médecin en imagerie et je ne peux même pas comparer deux scanners réalisés dans deux hôpitaux différents. »
Inge Franky promet que cette interopérabilité sera au cœur du nouvel eHealth Action Plan, avec des standards techniques et une certification des systèmes. « C’est essentiel pour que la santé numérique devienne enfin un levier d’efficacité, et non une source de frustration. »
Un énième plan, donc. Espérons que celui-ci aboutisse rapidement.
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