L’intelligence artificielle (IA) bouleverse déjà la pratique médicale. Dans un rapport publié ce 13 octobre 2025, le JAMA Summit on Artificial Intelligence dresse un état des lieux complet de cette mutation. Les auteurs y voient à la fois une promesse immense et un risque majeur : sans encadrement solide, l’IA pourrait transformer la médecine sans réellement améliorer la santé.
Des logiciels d’aide au diagnostic à la transcription automatique des consultations, l’IA s’installe dans tous les maillons du soin. Les auteurs distinguent quatre grandes catégories : les outils cliniques utilisés par les médecins, les applications de santé grand public, les programmes d’optimisation des services hospitaliers et les outils « hybrides » qui mêlent fonctions administratives et cliniques.
L’imagerie médicale est déjà largement investie par l’IA, avec plus de 1 200 dispositifs autorisés par la FDA. Selon le rapport, près de 90 % des systèmes de santé américains utilisent aujourd’hui au moins un outil d’IA d’imagerie. Dans d’autres domaines, la diffusion est rapide mais souvent peu contrôlée. Le marché des applications mobiles de santé, estimé à plus de 70 milliards de dollars par an, compte désormais plus de 350 000 produits, et trois adultes sur dix dans le monde déclarent en utiliser au moins une. Mais la plupart de ces outils échappent à toute évaluation clinique : leurs effets réels sur la santé restent inconnus.
Les hôpitaux, de leur côté, recourent de plus en plus à des algorithmes pour gérer leurs plannings, leurs stocks ou leurs autorisations administratives.
Le défi de la preuve
Contrairement à un médicament, un outil d’IA n’est pas figé. Il évolue avec ses données, dépend de la formation des utilisateurs et du contexte dans lequel il est déployé. Évaluer son efficacité devient alors un casse-tête. Les essais cliniques randomisés existent, mais ils sont rares et souvent inadaptés à la vitesse d’évolution des modèles.
Les auteurs rappellent, à titre d’exemple, que la grande étude américaine sur la détection de la fibrillation auriculaire via smartwatch a nécessité plus de 400 000 participants pour évaluer la performance de l’algorithme. Pour le JAMA, il faut inventer de nouvelles méthodes : des études plus légères, intégrées aux pratiques quotidiennes, capables de mesurer les effets sur la qualité des soins, l’accès et les coûts.
Une régulation lacunaire
Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) encadre les outils d’IA considérés comme des dispositifs médicaux. Mais de nombreux logiciels, notamment ceux destinés au bien-être ou à l’aide à la décision, échappent à sa supervision. Même lorsque la FDA intervient, la démonstration d’un bénéfice clinique n’est pas toujours exigée. Ce cadre fragmenté, soulignent les auteurs du JAMA, permet la diffusion d’outils puissants sans garantie suffisante d’efficacité ni de sécurité.
Quatre chantiers pour un usage responsable
Pour que l’IA améliore la santé plutôt qu’elle ne la complique, le rapport identifie quatre priorités.
La première est d’associer tous les acteurs – développeurs, cliniciens, régulateurs et patients – tout au long du cycle de vie des outils.
La deuxième consiste à développer des méthodes d’évaluation plus rapides et plus rigoureuses, afin de prouver non seulement la sécurité mais aussi l’efficacité clinique.
La troisième priorité est la création d’une infrastructure nationale de données, permettant de suivre les performances des outils dans des contextes variés.
Enfin, la quatrième vise à aligner les incitations : sans cadre financier et politique favorable, les efforts d’évaluation resteront marginaux. Le rapport cite à cet égard l’exemple du programme fédéral HITECH, dont les 35 milliards de dollars investis ont permis de généraliser le dossier médical électronique à plus de 97 % des établissements américainsen une décennie.
Une révolution à encadrer
Pour les auteurs, l’IA bouleversera inévitablement la pratique médicale. Elle modifiera la manière dont les patients accèdent aux soins, dont les médecins posent leurs diagnostics et gèrent leur temps. Cette transformation, écrivent-ils, « représente une occasion unique de corriger les dysfonctionnements du système de santé ». Mais elle ne tiendra ses promesses que si la communauté médicale et les pouvoirs publics parviennent à bâtir un écosystème capable de produire des preuves rapides, solides et généralisables sur les conséquences de ces technologies.
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