Aurore Girard, présidente de la SSMG, et Dieter Goemaere, directeur hôpitaux de Gibbis, ont pu échanger leur expertise sur le partage des données de santé et l’informatique médicale lors du congrès organisé le 20 novembre par les Mutualités libres. Tous les deux constatent des différences de maturité digitale chez les utilisateurs de ces technologies.
« Pour les médecins, il n'est pas toujours évident de faire certains sauts technologiques. La fracture numérique ne concerne pas que les patients. Elle touche aussi les soignants. De nombreux médecins généralistes plus âgés, qui ont l'obligation de passer à la digitalisation, choisissent d'arrêter », constate Aurore Girard, présidente de la SSMG. « Certains patients risquent également d’être exclus des soins de santé parce qu’ils n’ont pas accès aux outils numériques ou ne maîtrisent pas les langues utilisées. Dans certaines communes plus précaires, le simple fait d'avoir accès à un ordinateur peut poser problème. Certains patients n'ont pas de numéro de registre national ou de carte d’identité. Je ne peux dès lors pas me connecter au réseau santé bruxellois lors de la consultation. »
La présidente de la SSMG souligne que les médecins généralistes n’ont pas le temps d’identifier tous les patients qui sont dépassés par les technologies informatiques et de les raccrocher au système. « Le processus de numérisation et de digitalisation des données est complexe tant pour les patients que pour les médecins. »
Une grande disparité
« Des accords ont été conclus avec les médecins pour financer la digitalisation parce qu'on est convaincu qu'en investissant dans le partage des données, on va réellement sauver des vies. Le gouvernement n'a pas choisi d’utiliser un seul dossier patient électronique (DPI) national. On a perdu une chance de gagner en cohérence. Mais nous avons choisi d’utiliser les critères minimums belges pour créer une sorte d'uniformité. Une série d’hôpitaux ont des DPI qui sont de plus en plus intégrés dans l'environnement de l'hôpital », explique Dieter Goemaere, chief economist de Gibbis.
« La réalité de terrain est complexe. Il y a des différences de maturité digitale entre les hôpitaux et entre certains services d’une même institution. Le respect de la vie privée et la cybersécurité demandent des efforts lourds et constants », commente l’expert hospitalier. « L'Europe produit des réglementations de plusieurs centaines de pages. Les hôpitaux doivent pouvoir les intégrer. Cet objectif est positif, mais ce travail demande du temps et de l'expertise. En outre, cet investissement n'est souvent pas financé par les autorités. »
Dossier de santé intégré
Les acteurs de terrain sont-ils impliqués dans la conception et la mise en place du dossier de santé intégré belge ( projet BIHR ) voulu par le ministre Vandenbroucke ? « Actuellement, pas directement. Cela ne veut pas dire qu'on ne le sera pas plus tard. Si on en est encore à des phases de réflexion et de construction informatique, c'est logique. Une préparation est nécessaire. La SSMG voit ce partage des données d'un très bon œil », souligne la présidente de l’association scientifique des généralistes. « Partager les données améliore la communication autour du patient. Cela permet d'éviter de répéter des examens et d'avoir une meilleure vue d'ensemble sur la santé du patient. Il est essentiel d’autonomiser le patient. Mais le rendre responsable de l'entièreté de sa santé n’est pas bon non plus. Le patient doit rester le patient. Il doit pouvoir avoir accès à toutes les informations pour pouvoir faire des choix éclairés et prendre en charge sa maladie. Néanmoins, il ne doit pas devenir le dépositaire des données et avoir l’entière responsabilité de la disponibilité de ces données. »
Le Dr Girard rappelle le droit du patient à ne pas devoir partager toutes ses informations. « Un de mes patients est cocaïnomane. Il n'a pas envie que son neurologue soit forcément au courant. Ou que cette information soit transmise à son kiné ou au pharmacien. Le patient peut dire à son médecin qu’il ne veut pas que certaines informations soient transmises à d’autres prestataires. Le droit à l'oubli est important aussi. »
Rendre les données interopérables
Pour Dieter Goemaere, l’informatisation médicale permet de travailler plus efficacement. « Elle améliore également la sécurité des patients. Si quelqu'un arrive aux urgences et qu'il est blessé, il est important d'avoir rapidement son groupe sanguin ou de savoir s’il a des allergies. On a pu également faire de grandes avancées diagnostiques grâce à la digitalisation des images, des tumeurs. Au niveau de l'utilisation secondaire, les données permettent de réaliser des études scientifiques. Mais cette recherche demande des moyens, de l'infrastructure et du personnel. Cette expertise est relativement chère. »
Actuellement, les hôpitaux doivent se hisser à la hauteur des défis technologiques. « Que fait-on concrètement en ce moment ? On est en train de structurer des données et de les rendre interopérables. Il faut que les différents systèmes puissent parler ensemble et que les généralistes reçoivent les informations des hôpitaux. Nous sommes passés du papier au « papier numérique » et on doit aller vers les données structurées. Nous avons besoin de standards qui doivent être mis en place par les autorités. »
Le Dr Girard estime que l’interopérabilité doit être une priorité dans les prochaines années. « Cela doit concerner toutes les plateformes qui recèlent les données de mes patients. Je passe parfois 20 minutes à me connecter aux données avant de pouvoir discuter avec mon patient de ses résultats. Il faudrait que tout soit lié à mon dossier médical. Sur les 5 dernières années, il y a eu des bonds technologiques, mais il faut que les accès soient user-friendly. Si je passe 20 minutes à me connecter, c'est 20 minutes que je ne peux pas consacrer à mon patient. Je veux rester le médecin traitant de mon patient et pas le gestionnaire de la base de données de mon patient. »
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