Je l’avais écrit en 2019 : « Si la téléconsultation reste dans le système du tiers payant, elle ne décollera jamais. » Ce n’était pas de la provocation, mais du simple réalisme économique. Le modèle était voué à l’échec. Ma proposition était claire : laisser aux médecins et aux patients la liberté d’organiser leurs téléconsultations, comme un service médical de proximité, rémunéré directement, sans lourdeur administrative. Un modèle fondé sur la confiance, la qualité et la responsabilité partagée.
Pendant que la Belgique débat et freine, nos voisins européens avancent. En France, la téléconsultation est désormais intégrée dans les soins primaires et encouragée pour réduire les inégalités territoriales. En Allemagne, elle est devenue un outil stratégique de santé publique, soutenu par des plateformes agréées et des standards techniques clairs. En Scandinavie, les patients consultent en ligne leur médecin de famille depuis plus de cinq ans, avec un haut niveau de satisfaction et une continuité de soins assurée. Et nous ? Nous perdons du terrain. La suppression du remboursement, loin d’encourager une régulation intelligente, a fait reculer la digitalisation du système belge. Au moment même où l’Europe parle d’« accessibilité numérique des soins », la Belgique choisit de revenir en arrière.
La téléconsultation, levier d’accès aux soins
On parle aujourd’hui de l’accès aux soins comme d’un enjeu prioritaire. Mais comment peut-on défendre cet objectif tout en supprimant un outil qui facilitait justement cet accès pour la majorité des citoyens ? La téléconsultation n’est pas destinée à remplacer la relation humaine — elle la complète. Elle offre une réponse concrète aux réalités de terrain : aux personnes âgées à mobilité réduite, aux patients vivant en zones rurales ou sous-médicalisées, aux travailleurs qui n’ont pas toujours le temps de consulter, et aux familles monoparentales pour qui chaque déplacement est une épreuve logistique. En la supprimant, on a fermé une porte à tous ces patients pour qui le numérique était un pont vers la médecine, pas un mur.
Une leçon pour les décideurs
Ce qui manque le plus à notre système, c’est la confiance. Confiance envers la compétence des médecins, confiance envers la responsabilité des patients et confiance envers l’innovation. Le Conseil national de l’Ordre des médecins rappelait en octobre 2025 que la télémédecine « ne doit pas conduire à une déshumanisation de la relation de soins ». Je partage entièrement cette idée. Mais la déshumanisation ne vient pas de la technologie — elle vient du manque de confiance dans ceux qui soignent. Et ce manque de confiance ne se limite pas à la télémédecine. On le retrouve dans d’autres dossiers récents : la régulation hospitalière, la réforme de la garde médicale, la tarification des actes, la gestion de la démographie médicale. Chaque fois, les décisions semblent prises sans concertation réelle avec le terrain, dans une logique de contrôle plutôt que de partenariat. Le ministre de la Santé, qui devrait être un allié stratégique des soignants, est devenu au contraire un interlocuteur distant, voire un adversaire institutionnel. Ce climat de méfiance érode la motivation, freine l’innovation et fragilise l’ensemble de notre système de santé. Sans rétablir ce lien de confiance, aucune réforme — ni numérique, ni structurelle — ne pourra réussir.
Pour une approche adulte et européenne
Revenons à l’essentiel : faire confiance aux médecins et aux patients ; aligner notre modèle sur les standards européens ; garantir un cadre déontologique solide sans étouffer l’innovation. La téléconsultation n’est pas un gadget bureaucratique, mais un instrument mature de la médecine contemporaine. Ce qui semblait visionnaire en 2019 n’était que du bon sens médical. Ce qui paraît aujourd’hui comme un échec n’est, en réalité, qu’un rendez-vous manqué avec le progrès.







