La télésurveillance numérique : prévention, prédiction et suivi (V.Kokoszka)

Dans ce cinquième et dernier volet, Valérie Kokoszka, docteure en philosophie, explore la manière dont la télésurveillance numérique et algorithmique transforme la relation de soins. En combinant prédiction, prévention et suivi continu des patients, ces dispositifs ne se contentent pas d’innover technologiquement : ils redessinent l’organisation des soins, renforcent la coordination entre acteurs et réaffirment la dimension humaine au cœur de la pratique médicale.

Parmi les innovations apportées par l’intelligence artificielle en santé, la télésurveillance numérique et algorithmique figure parmi les plus prometteuses. Grâce à la collecte continue des données de santé et à l’application d’algorithmes prédictifs, elle permet de surveiller les patients qui nécessitent un suivi rapproché, de déclencher des alertes précoces et de prévenir les ruptures dans le parcours de soins ou les complications liées à la maladie, chez les personnes atteintes de pathologies chroniques ou mentales.

Elle répond ainsi aux défis majeurs d’un système de santé confronté à l’explosion des maladies chroniques et contraint à une allocation efficiente de ses ressources, tout en veillant aux patients isolés ou désocialisés, qui entrent plus difficilement en interaction avec le système de soins. Toutefois, l’implémentation de tels dispositifs exige elle-même de l’innovation tant dans l’organisation et la collaboration avec les patients et les professionnels qu’en matière de financement. S’ajoute à cela un véritable défi : démontrer la valeur ajoutée de ces dispositifs dans un environnement qui ne dispose pas de protocole évaluatif dédié à ce type de prise en charge numérique.

La start-up française SEMEIA, lauréate du prix de l’assurance maladie en 2016, illustre parfaitement ces enjeux. Spécialisée dans le suivi des patients greffés (rein, poumon), diabétiques, oncologiques (cancer du sein), atteints de pathologies cardiovasculaires ou mentales (troubles bipolaires, dépression), elle propose deux outils complémentaires : un tableau de bord pour les professionnels de santé, qui synthétise l’état de santé et l’évolution de leurs patients, générant des alertes en cas de dégradation ou de non-respect du plan de soins défini par l’équipe soignante, et une application patient qui capte les paramètres de base, centralise et sécurise les échanges (par ex. nouvelle prescription).

Mais à côté de l’innovation technologique, l’autre innovation fondamentale réside dans son modèle économique. Le dispositif est entièrement pris en charge par l’assurance maladie, qui rémunère à la fois la plateforme et les soignants qui l’utilisent (de 28 à 56 euros/patient/mois). Pour obtenir ce remboursement, la start-up, qui suit quelque 25 000 patients, a dû répondre à des exigences strictes.

Sur le plan éthique et légal, la solution respecte le RGPD, garantit le consentement éclairé des patients et assure la supervision humaine à chaque étape du traitement algorithmique des données. Sur le plan technico-réglementaire, en tant qu’aide à la décision médicale, elle a nécessité un marquage CE et une évaluation rigoureuse démontrant l’absence d’événements indésirables et une balance bénéfices-risques favorable. Des études cliniques ont objectivé l’intérêt médical et financier de la solution : par exemple, le suivi des patients greffés pulmonaires a considérablement réduit les infections opportunistes, tandis que celui des patients bipolaires a diminué les hospitalisations psychiatriques et les tentatives de suicide, faisant chuter le coût pour l’assurance maladie de 3 500 euros.

Au-delà de l’outil technologique, les dispositifs de télésurveillance numérique participent à une refonte organisationnelle des soins. La start-up a ainsi recruté des infirmières dédiées aux suivis et aux échanges avec les patients, mais intervient également auprès des hôpitaux qui se réorganisent eux-mêmes en vue d’une prise en charge plus continue et développent de nouveaux métiers tels que les infirmières de coordination de soins ou de suivi. Elle s’inscrit ainsi dans un mouvement plus global de transformation, contribuant à une coordination renforcée entre médecine de ville, hôpitaux et centres hospitaliers universitaires.

La télésurveillance numérique constitue un véritable atout dès lors qu’elle s’intègre dans un environnement lui-même évolutif et innovant. Loin de déshumaniser les soins, elle participe pleinement à leur reconfiguration en réintroduisant leur dimension holistique et intersubjective. Elle démontre qu’innovation technologique et qualité de la relation de soins ne s’opposent pas, mais peuvent au contraire se renforcer mutuellement au service des patients

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