La réalité virtuelle, les atouts de l’individualisation et de l’effet Protée (V.Kokoska)

Dans ce quatrième volet, Valérie Kokoszka, docteure en philosophie, explore l’usage croissant de la réalité virtuelle dans les soins. De la gestion de la douleur à la rééducation, en passant par l’effet Protée et les questions de validation clinique, elle met en lumière les atouts et les limites de cette technologie en plein essor.

À la croisée de la technologie, de la rééducation et de la recherche, l’usage de la réalité virtuelle (RV) s’impose progressivement dans le domaine des soins. Propulsant ses utilisateurs dans un univers virtuel plus ou moins ludique par l’entremise d’un casque, de capteurs – voire de retour haptique pour les dispositifs les plus avancés –, elle a tout d’abord servi à la formation des soignants avant d’ouvrir des perspectives inédites de prise en charge des patients dans le traitement des phobies, de la douleur, et plus récemment, de la rééducation et de la revalidation. Si l’usage de la RV suscite l’enthousiasme en clinique en travaillant le pouvoir (re)faire des patients à partir de mondes possibles, tantôt simulacres du réel, tantôt univers fantastiques, il génère également une intense activité en recherche, notamment dans le champ des neurosciences, de la neurologie et de la médecine physique. Seule ombre au tableau de la réalité virtuelle : comment et par quels protocoles valider scientifiquement son apport thérapeutique ? Cet enjeu épistémologique majeur est l’une des croix des nouvelles technologies : il faut adapter ou inventer de nouveaux protocoles d’évaluation.

De la gestion de la douleur à la rééducation

Si la RV s’est révélée d’abord comme dispositif innovant dans la prise en charge de la douleur et des phobies grâce à son environnement immersif, variable, interactif et sécurisé, elle intéresse désormais un tout autre secteur de la médecine : la rééducation et la revalidation. Alors que les exercices traditionnels sont marqués par la répétition, la RV transforme l’entraînement moteur en expérience ludique, ce qui favorise la motivation et l’engagement des patients. Ainsi, chez les patients victimes d’un AVC, elle permet de travailler la marche, l’équilibre ou la coordination des mouvements dans des situations réalistes mais sûres. La modulation des stimuli visuels et sonores permet également de définir un entraînement personnalisé, qui s’adapte au niveau du patient et est ajustable en temps réel. Enfin, elle contribue à diminuer la perception de la douleur, facilitant les exercices plus intensifs.

L’effet Protée : transformer le comportement par l’avatar

Mais ce sont là des descriptions purement fonctionnelles de la RV, qui dissimulent l’un de ses apports les plus fascinants : l’effet Protée qu’elle entraîne avec elle. Décrit par Yee et Bailenson , il désigne le phénomène par lequel l’apparence et les caractéristiques de l’avatar que l’on incarne influencent nos attitudes, nos pensées et nos comportements. On a ainsi pu montrer que l’adoption d’un avatar grand, fort et confiant modifiait la force des impulsions données au mouvement, favorisait des interactions plus assurées, soutenait une modification de la subjectivité par le truchement du personnage incarné. L’effet Protée témoigne ainsi des effets de l’incarnation d’un personnage virtuel sur plusieurs domaines de la sphère cognitive, depuis la perception de soi, en passant par les fonctions motrices et exécutives, jusqu’à la personnalité et la représentation sociale, effets qui peuvent être mobilisés pour surmonter différents traumas. Il faut néanmoins opérer avec prudence, sans perdre de vue les questions éthiques que peuvent soulever la désinhibition de certains comportements ou la désillusion tragique que pourrait générer le retour à soi, en chair et en os.

La RV en recherche

Comme tous les nouveaux dispositifs technologiques, la RV ouvre de nouveaux champs d’investigation en recherche. Ainsi, dans la maladie de Parkinson, l’usage de la RV a mis en lumière l’importance des déficits visuels et visuospatiaux, notamment dans l’apparition du freezing de la marche . Dans le même ordre d’idées, elle sert à tester les capacités de navigation spatiale chez les malades atteints d’Alzheimer, dont elle décèle les troubles avant même les déficits mnésiques manifestes. Au-delà des pathologies spécifiques, la RV fournit des données fines et objectives sur la motricité, l’attention ou la cognition grâce à l’intégration de capteurs et de dispositifs de suivi (trajectoires, temps de réaction, mouvements oculaires), et devient ainsi une sorte de laboratoire en immersion qui permet de mieux cerner les liens entre perception, motricité et cognition.

La validation clinique : vers un nouveau paradigme ?

Si, tant en clinique qu’en recherche, les promesses de la RV sont considérables, il reste que leur validation scientifique se heurte à des obstacles majeurs. Le modèle de l’essai randomisé n’est pas le plus adapté : il est impossible de mettre en place un double aveugle strict, la diversité des dispositifs disponibles limite la comparabilité des études, certains aspects sensoriels sont incomplets ou manquent de subtilité, et enfin on ne peut évaluer que ce qui est programmé ou programmable dans l’environnement virtuel. Face à ces enjeux, des recommandations spécifiques  commencent à voir le jour afin d’évaluer plus finement l’efficacité clinique de ces nouveaux venus high-tech, qui paraissent, pour l’heure, donner le meilleur d’eux-mêmes associés aux prises en charge traditionnelles.

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.