Non, la médecine augmentée ne se fera pas sans médecin ( Dr G.Briganti )

Depuis quelques temps on observe l’émergence d’opinions alarmistes concernant l’avenir du rôle de médecin dans les soins de santé qui évoluent à l’aide de l’intelligence artificielle.

Pourquoi cette « digitophobie » ?

J’ai pu lire notamment l’opinion d’un médecin persuadé que son métier serait en péril. Ce dernier semblait particulièrement effrayé par le constat d’une étude française (1) montrant l’appréciation globale qu’une cohorte de patients chroniques a marqué pour des ressources, applications ou dispositifs de médecine digitale ; 55% de patients de la cohorte ressentait que ces ressources supplémentaires au médecin pourraient améliorer la qualité des soins notamment par l’optimisation du suivi. Le médecin en question terminait sa tribune en dénonçant une déshumanisation de la médecine à cause des appareils et applications améliorés par l’intelligence artificielle dans le but de faire des économies.

Tout en respectant cet avis partagé par un certain nombre de cliniciens et en comprenant la peur face à une menace ressentie contre la profession, je ne peux qu’être en désaccord et attribuer une grosse partie de cette peur au manque d’éducation des professionnels de la santé à ce que j’appelle la « médecine augmentée », l’évolution de l’art de guérir grâce à l’intelligence artificielle, la médecine de précision, les thérapies génomiques, l’informatique médicale, la e-santé et le big data.

Comment la médecine a été augmentée ?

L’avenir du métier de médecin était notamment le thème d’une conférence que j’ai eu l’opportunité de donner lors d’une réunion du comité de concertation sur l’éducation de la FEV (fédération européenne des vétérinaires) à laquelle j’étais invité pour transposer la problématique de l’innovation de la formation des médecins « de l’humain » (comme nous définissent les vétérinaires). Le challenge de présenter ma vision de l’avenir de la profession m’a permis de répondre à certaines interrogations que j’observe fréquemment dans le paysage médical.

Il est clair que la médecine a été augmentée par l’intelligence artificielle : dans les 5 dernières années, la FDA a approuvé des algorithmes pouvant détecter des anomalies de l’électrocardiogramme et l’échographie cardiaque, détecter des tumeurs cérébrales et thoraciques, déterminer la dose d’insuline nécessaire à un patient diabétique, effectuer un grading clinique en anatomie pathologique et trier les patients selon certains signes de gravité. Les changements s’opèrent non seulement en médecine clinique mais aussi en informatique médicale, où les logiciels basés sur la reconnaissance du langage naturel permettront une automatisation de plus en plus importante du dossier médical, ce qui laissera plus de temps au médecin pour être au chevet du patient.

Est-ce que le rôle du médecin change ?

Si on analyse cette évolution (incroyable) de la médecine, resteront au clinicien les compétences suivantes : la communication empathique au patient, la recherche, la défense de la santé globale, la collaboration multidisciplinaire, le professionnalisme et surtout, la gestion du patient. Ces composantes sont celles qui appartenaient à la définition même (2) de la profession médicale dans les années 1990 par le Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada (définition largement utilisée au niveau mondial et que j’ai étudié pendant mon cursus) dans le CanMeds Framework. Si on s’en réfère à cette vieille définition (et toujours enseignée), l’identité du médecin n’est nullement affectée par l’arrivée de la médecine augmentée.

La médecine augmentée ne se fera pas sans le médecin (mais celui-ci doit devenir également augmenté).

Si les professionnels de l’art de guérir sont prêts à évoluer avec leur discipline, ceux-ci ne seront pas remplacés : la médecine augmentée existe comme telle car supporté par des outils au service du médecin pour améliorer la prise en charge du patient (et non pas remplaçant ce dernier).

Nous sommes aujourd’hui en position d’accueillir cette évolution et d’en être protagonistes mais ceci doit impliquer une révision majeure des connaissances à maîtriser pour s’en sortir à l’ère de la médecine augmentée.

Une telle évolution du système actuel n’est possible que si des vraies balises concernant les compétences des différents acteurs de la santé (dont le médecin) sont fixées selon des standards scientifiques orientés vers le bénéfice du patient. Si l’on suit ces balises bien présentes ailleurs dans le monde, le médecin augmenté pourra être mieux valorisé en rapport avec les compétences qui le distinguent des autres professionnels (vide supra).

Ainsi, si nous ne formons pas nos propres futures élites de la médecine augmentée (alors que nous avons toujours été riches d’experts mondiaux à chaque étape de l’histoire de la médecine), nous serons devancés par d’autres puissances mondiales et géants technologiques qui pourraient monopoliser les soins de demain (avec le volume de patients qui va avec). La guerre la plus probable ne sera donc pas entre le médecin et l’intelligence artificielle, mais bien entre les médecins augmentant leur pratique par l’IA et ceux qui ne le feront pas.

In fine, n’oublions pas que le but est l’outcome du patient: tous les autres intérêts doivent être en arrière plan.

Donc, pourquoi avoir peur si on peut faire mieux?

> Lire aussi : Nous devons former des médecins « augmentés »

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