Une revue scientifique publiée en janvier 2025 dans npj Digital Medicine offre un panorama inédit sur l’usage croissant des capteurs numériques dans le suivi des troubles psychotiques. Plus de 200 études analysées révèlent un virage discret, mais décisif, dans la manière d’observer les symptômes psychiatriques à distance.
Grâce à des objets du quotidien comme les smartphones ou les montres connectées, des données sont collectées en continu auprès de patients atteints de schizophrénie. Les informations concernent notamment le sommeil, la mobilité, l’activité physique ou l’usage du téléphone. Ces indicateurs comportementaux, dits « passifs » car enregistrés sans intervention directe du patient, peuvent signaler des variations dans l’état de santé mentale, voire anticiper une rechute.
Des données absentes révélatrices
Cette approche repose sur une idée simple : la vie quotidienne laisse des traces mesurables. Une baisse d’activité, une modification des habitudes de déplacement ou une utilisation inhabituelle du téléphone peuvent, par exemple, correspondre à une détérioration clinique. Certaines équipes ont même montré que l’absence de données elle-même peut être un signal à part entière, en lien avec un isolement ou un trouble cognitif sévère.
De fortes disparités méthodologiques
Malgré un engouement croissant pour ces technologies, la mise en œuvre reste encore inégale. Les chercheurs de Manchester à l’origine de cette revue ont constaté une forte hétérogénéité dans les méthodes. Les types d’appareils, la durée de port, les fréquences d’échantillonnage et les seuils de validité des données varient considérablement. En outre, très peu d’études précisent si les données brutes ont été analysées ou si des algorithmes propriétaires ont été utilisés.
Des lacunes dans l’analyse statistique
L’analyse statistique constitue un autre point faible. Dans la majorité des travaux, les données sont simplement agrégées par moyennes journalières, ce qui gomme la dynamique temporelle. Peu d’études ont recours à des modèles longitudinaux ou à des techniques d’apprentissage automatique, en partie en raison de la taille limitée des échantillons. Ces lacunes méthodologiques limitent la reproductibilité des résultats et leur applicabilité clinique.
Un appel à la standardisation
Les auteurs plaident donc pour une normalisation des pratiques. Cela passe par une description rigoureuse des protocoles, l’utilisation de logiciels open source, la publication des codes d’analyse et la définition de standards de qualité. Une telle structuration permettrait non seulement de mieux comparer les résultats entre études, mais aussi de favoriser l’intégration de ces outils dans les soins quotidiens.
Des promesses, mais un cadre à consolider
En dépit des difficultés, l’enjeu reste majeur. Mieux détecter les signes précoces de rechute, personnaliser les interventions, alléger la charge des consultations en face à face : les promesses sont nombreuses. Mais pour que la psychiatrie numérique tienne ses engagements, elle devra encore gagner en rigueur scientifique et en transparence. L’avenir des capteurs passifs ne dépend pas seulement de leur sophistication technologique, mais aussi de la manière dont la recherche encadre et valorise leur utilisation.