La saga des applis de traçage : du communautaire au carrément suspect

Pour mieux pister le virus, l’idée de doter les smartphones d’outils de prévention ou d’alerte peut être séduisante...ou effrayante. Mais le dossier s’enlise dans le communautaire, voire dans le carrément suspect.   Et les dernières polémiques autour de Frank Robben risquent d'amplifier encore plus ce sentiment d'opacité autour de ce dossier.

L’ enjeu majeur du déconfinement réside dans la mise en place de mesures garantissant la diminution du risque de transmission du coronavirus tout en garantissant l’anonymat des personnes susceptibles de le transmettre. Le call center «manuel» mis en place peine à recueillir quelques données éparses totalement inutiles. Certains y lisent d’ailleurs la principale raison de la démission-surprise d’Emmanuel André, quelques semaines seulement après avoir pris ses fonctions.

Or, le personnel des entreprises retourne peu à peu au travail, les enfants retournent à l’école,les cafés et restaurants ont rouvert leurs portes, les vacances approchent, avec tous les risques que cela entraîne quant à l’apparition de vagues futures du virus.

Mais à l’instar du masque ou du testing, le dossier du «contact tracing» semble bien malmené. Il a tout d’abord été dans les mains d’une des sous-commissions ad hoc du ministre fédéral Philippe De Backer , sans grande efficacité. Il a ensuite été renvoyé aux Régions puisqu’il s’agissait de prévention, ce quil’a finalement fait aboutir dans un comité interfédéral rassemblant Régions et Sciensano. Ils devraient trancher entre au moins... 70 offres connues. Mais trois semblent émerger.

Un: l’application développée par la KULeuven et l’équipe du professeur Bart Preneel. Preneel était le représentant belge au sein du groupe de travail européen qui a mis au point le protocole DP3T qui sert de base de travail pour certaines applications de tracing européennes,dont l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse. Il a pour lui une expérience académique de très haut niveau, la puissance du réseau louvaniste en matière de santé et quelques solides amitiés au CD&V.

Deux: l’application belge KO-VID - mais vue au Nord comme «wallonne» - développée par un consortium piloté par Michèle Paque,PDG de la société Keyrus, rassemblant quatre universités du pays, vingt entreprises et d’éminents scientifiques et membres du corps médical. La solution dépasse l’appli,parce qu’elle comprend en plus d’une application, un porte-clé pour ceux qui n’ont pas de smartphones, un test online et un modèle de prédiction des zones de contamination utilisant l’intelligence artificielle.

Trois: Indigout, dont l’app ne prévient que le patient et son médecin, ce qui évite tout risque de rupture de la confidentialité.

L’opacité dans laquelle le comité interfédéral rassemblant Régions et Sciensano travaille alimente évidemment les pires soupçons.Avancera-t-il sans appel d’offres?

Frank Robben, qui fait partie de ce comité interfédéral, mais aussi PDG de la Smals, l’asbl technologique en soutien de la banque carrefour et de la plateforme e-health pour l’état belge et qui pourrait «hoster» les données collectées par Sciensano, assure que oui à l’Echo:«Il y aura bien un marché public ou un contrat cadre pour le choix de l’entreprise.».Entretemps, il publie une carte blanche qui,sans la désigner, prend fortement parti pour la solution développée à la KULeuven, son alma mater.

Compatibilité européenne

A la mi-juin, à quelques jours des grandes migrations, pour bien fonctionner, les applis devraient être compatibles au niveau européen. Or, il y a de «forts doutes» sur le fait que l’application française de traçage de contacts contre le coronavirus Stop Covid, déjà téléchargée par plus d’un million de Français, puisse être compatible avec ses homologues européennes fonctionnant sur le modèle proposé par Google et Apple,a indiqué le secrétaire d’Etat français au Numérique Cédric O.

Stop Covid et son homologue britannique sont bâtis sur une architecture dite centralisée,tandis que les applications allemande, suisse et italienne sont bâties sur une architecturedite décentralisée également choisie par une alliance Google/Apple.

Pour Michèle Paque, PDG de Keyrus, ce n’est pas un problème: «Ce sont les bases de données qui dialogueront ensemble, sur base d’une référence anonymisée, les deux systèmes sont donc compatibles. Mais nous attendons toujours le feu vert des autorités  pour faire un test à petite échelle, sans lequel nous n’obtiendrons pas le feu vert de Google/Apple pour utiliser la géolocalisation des smartphones et être repris dans leurs stores». Bref, on patauge et on grenouille.

Ce vendredi 12 juin, le ministre flamand du Bien-être social Wouter Beke s’est clairement positionné en faveur d’une application de détection des contacts basée sur le bluetooth,avec un stockage des données décentralisé.Il a clairement exprimé sa volonté de tomber d’accord avec les autres régions du pays sur une norme commune, afin de voir les effets de cet outil améliorés. Il espère qu’il pourra voir le jour à la fin de l’été, en complément de l’outil actuel, «la méthode actuelle de détection des contacts étant longue et coûteuse et dépendant également de la mémoire et de la coopération des personnes infectées». 

Le 18 juin la conférence interministérielle (CIM) Santé publique a convenu de réactiver le groupe de travail planchant sur le développement d’une solution numérique de recherche des contacts covid-19 et de fixer un cadre légal concernant la protection des données.

La discussion portait sur la récolte des données dans le cadre du traçage « manuel » mis en place pour soutenir la phase de déconfinement. Mais des débats ont aussi lieu à propos de l’adoption d’un traçage technologique via une application sur smartphone. Si la conservation des données relève du fédéral, le traçage est bien de compétence régionale, quelle que soit sa forme. Il importe donc plus que jamais que les opérations s’inscrivent dans un même cadre dans les trois régions du pays afin de garantir une unité de traitement des malades et de leurs contacts sur l’ensemble du territoire. Au bout du compte dès lors, la proposition de loi s’effacera devant un accord de coopération en bonne et due forme entre les entités fédérées.
Avant la fin juin
Finalisé ce mercredi, cet accord porte à la fois sur la procédure en vigueur depuis un mois, mais aussi sur son extension à un dispositif numérique commun sur le profil duquel il faut encore s’entendre au sein d’un groupe de travail interfédéral. Les négociations se tenaient jusqu’alors au niveau du conseil interministériel de la santé. Le temps presse puisque cet accord de coopération doit normalement entrer en vigueur avant la fin du mois de juin. Le texte doit être soumis aux parlements dans les plus brefs délais.

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