"Mes patients utilisent presque tous ChatGPT" (Dr Denys Coester)

Anesthésiste-réanimateur et spécialiste de la médecine anti-âge, le Dr Denys Coester observe chaque jour l’évolution du dialogue médecin-patient à l’ère de l’intelligence artificielle. Pour lui, l’usage d’outils comme ChatGPT ne remplace pas le praticien, mais transforme sa pratique – à condition d’en comprendre les limites et d’en maîtriser les usages. Il plaide pour une IA personnalisée, au service d’une médecine plus éclairée et plus collaborative.

Mes patients utilisent de plus en plus ChatGPT avant de se rendre à ma consultation. Je préfère cette approche à celle où, à l’époque, leur médecin référent s’appelait Google ou pire, le voisin du 5e qui s’y connaît parce que sa femme est kiné, ou notre cauchemar pendant des années : Doctissimo.

Avant, je passais 10 minutes à démystifier des articles mal traduits, à corriger des croyances trouvées sur des forums obscurs et à rassurer après un auto-diagnostic de cancer pour une douleur à l’épaule. Aujourd’hui, beaucoup de patients arrivent avec des questions plus structurées, une envie de comprendre et une posture plus collaborative que défensive.

Le médecin n’est pas remplacé

ChatGPT ne remplace pas le médecin. Il a changé le dialogue médecin-patient, et pour le mieux. En tant que médecin, mon rôle n’est pas de faire taire les questions, mais de les éclairer.

Quand on demande à ChatGPT les sources des articles scientifiques, il reste encore de grosses lacunes. Il m’est arrivé de vouloir rédiger des articles et de demander les références des sources PubMed : elles étaient inexactes. Dans ma pratique, j’utilise aussi Perplexity.ai, qui a l’avantage de donner ses sources, mais sans les sélectionner. Enfin, en matière de médecine préventive, j’apprécie également travailler avec Modern Med Life.

Créer sa propre IA pour sa pratique de médecin

Je réfléchis à créer le Graal moi-même. Chaque praticien devrait créer sa propre IA et la personnaliser en fonction de tous les éléments de sa pratique, pour simplifier et automatiser un maximum de choses. Cette IA pourrait être enrichie par les publications scientifiques et les recommandations pertinentes selon sa spécialité.

Cette démarche serait d’autant plus essentielle pour toutes les spécialités qui ont régulièrement une remise à niveau des recommandations, comme les cardiologues. Cela aiderait énormément le médecin, qui n’a pas le temps de consulter toutes les recommandations ni les molécules en cours de développement, sans oublier les interactions potentielles entre médicaments.

Poser les bonnes questions avec les prompts

ChatGPT possède un autre attrait pour les médecins : il n’est pas tant intéressant par les réponses qu’il peut donner… mais la pertinence des questions qu’il faut lui poser est centrale. Cela demande une certaine éducation du praticien et du patient. Avec l’IA, nous pouvons vraiment élargir le spectre des questions à poser. Très souvent, je lui donne un prompt sur ce qui m’intéresse, et je termine toujours en lui disant : "As-tu des questions à me poser pour m’aider à t’aider à m’aider ?" À ce moment-là, il me propose énormément de questions auxquelles je n’aurais absolument pas pensé.

Cette génération de questions permet d’affiner le diagnostic, et parfois d’ouvrir des pistes auxquelles le médecin ne pense pas, parce qu’il est fatigué, parce que c’est le 15e patient de la journée… ChatGPT ne remplacera jamais le médecin, mais le médecin qui le maîtrise remplacera celui qui ne le maîtrise pas.

Un bon suivi de consultation

La relation avec le patient peut évoluer. Il ne serait peut-être pas inintéressant que le patient ait aussi accès à mon propre "bot" pour l’enrichir. Je pense que la pratique des médecins va beaucoup s’enrichir par le développement de questions pertinentes des patients. Parfois, ce sont des questions qui peuvent paraître futiles, comme lorsqu’une dame demande : "Docteur, faut-il que j’enlève mon vernis à ongles avant l’anesthésie ?"

Je réfléchis clairement à créer mon propre bot, alimenté par ce qui m’intéresse, et qui pourrait être mis à disposition en open source pour les patients ayant rendez-vous avec moi. Je leur dirais : "Vous allez voir le docteur en consultation, expliquez le motif, et voici les questions importantes à lui poser." C’est vrai qu’un alcoologue pourrait faire la même chose, un hépatologue aussi évidemment. Ce bot peut aussi être très utile après la consultation, quand le patient se dit : "Tiens, j’ai oublié de lui demander ceci." Cela peut même alléger le travail de la secrétaire le lendemain. Cela peut aussi aider les aidants proches. Mais le plus important, quelle que soit la technologie mise en place, c’est que le médecin garde toujours la dernière main sur la décision, tout en utilisant les nouvelles technologies pour mieux intégrer la masse de connaissances à acquérir et anticiper la pression médico-légale.

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