Innover: la médecine digitale à l’ère de la pandémie (Dr G.Briganti)

La pandémie Covid-19 aura bouleversé de nombreux domaines dans tous les secteurs touchant de près ou de loin aux soins de santé. Partagés entre l'urgent et le chronique les soignants se sont tournés vers  la médecine digitale d’une façon ou d’une autre, pour faire le pont entre ces deux extrémités d’un canyon de plus en plus profond.

Le milieu hospitalier a dû se redéfinir comme le temple des soins urgents suite au Plan d’Urgence, le milieu de la recherche connait un remaniement vertigineux du processus de révision par les pairs ; de milliers d’articles sont acceptés et publiés en quelques jours, parfois de façon hâtive et sans une réelle maitrise de la méthodologie utilisée pour aboutir à des résultats. Le milieu académique quant à lui se sera positionné comme le réservoir des « savants » pouvant aider nos politiques dans la prise de décision journalière.

Le but de ces changements si soudains dans des milieux pourtant habituellement paralysés est la gestion de la crise et la planification de sa résolution. Dans tous les milieux est apparue une certaine dichotomie : faire le choix entre ce qui est essentiel (lire « urgent »), et ce qui est superflu (lire « chronique »). Cette dichotomie n’est par contre qu’artificielle, puisque l’absence de soins superflus est fort susceptible d’engendrer la nécessité de soins urgents.  

Les soignants se sont tournés vers  la médecine digitale d’une façon ou d’une autre, pour faire le pont entre ces deux extrémités d’un canyon de plus en plus profond. Ainsi, des dossiers titanesques comme celui du remboursement de la téléconsultation auront connus des progressions inattendues dans l’écosystème belge. En effet, la virtualisation de la relation médecin-patient était la première urgence à régler dans un paysage de soins en mutation : aujourd’hui, de milliers de patients peuvent garder un état somatique et mental stable grâce à un accès aux soins à distance. 

Choisir le bon outil pour la bonne situation, pour le bon moment, et pour le bon patient

La téléconsultation était (et reste) l’outil de médecine digitale nécessaire pour gérer la distanciation sociale. Cependant, en vue de limiter le nombre de patients infectés et préparer une éventuelle sortie du confinement, nous devons mobiliser collectivement différents types d’outils.

Premièrement, l’outsourcing de la récolte des plaintes du patient s’impose comme nécessaire afin de déterminer le statut Covid-suspect des citoyens tout en limitant la multiplication des vidéo-conférences et conversations téléphoniques avec la première ligne. Deuxièmement, l’analyse des données, combinant le traçage de contacts (hautement débattu de par ses implications éthiques dans une démocratie) et la prédiction statistique. Troisièmement, la pseudonymisation, ou alternativement la gestion de données sans un intérêt pour l’identité de l’individu devient inévitablement un domaine de plus en plus important à un niveau sociétal dans ces deux premiers domaines. Quatrièmement, la gestion logistique de l’ensemble des lits et du temps d’attente aux urgences bénéficie grandement d’algorithmes de matching, pouvant rédiriger la personne Covid-suspecte vers l’hôpital le plus proche et le plus disponible à l’accueillir, moyennant l’établissement de critères valides.

Une histoire éternelle : la pléthore de solutions

La technologie médicale sous-tendant ces trois premiers domaines peut être très avancée : de solutions à la pointe existent pour chacun de ces domaines : le problème est qu’elles sont trop nombreuses, trop similaires, et que bien trop souvent elles sont développées dans le cadre d’écosystèmes fort rigides et peu ouverts à l’intégration du monde compliqué des soins. 

Ainsi, on observe depuis le début de la pandémie Covid-19 l’émergence de centaines d’applications : le travail de l’expert et celui du décideur devient de plus en plus compliqué : sélectionner une seule application par domaine d’application devient trop ardu quand les technologies sont fort similaires, et deuxièmement, ces technologies ne prennent souvent en charge qu’un seul besoin crée par la pandémie. À titre d’exemple, une solution de téléconsultation ne permettra pas au médecin de monitorer les symptômes du patient à distance, ou de suivre ses contacts, ou de transmettre si nécessaire des informations sensibles le concernant aux interlocuteurs compétents. 

Sans surprise, on se retrouve donc dans ce début de pandémie à répéter les mêmes erreurs des deux premières décennies de digitalisations des soins : le manque de généralisabilité ainsi que le manque d’interopérabilité des solutions digitales. Ces deux premiers défauts causent très semblablement de fortes oppositions par les cliniciens, qui manquent à la fois de temps pour se former à l’utilisation pertinente de nombreux nouveaux outils, ainsi que de confiance puisque ces outils sont développés via des modèles économiques traditionnels. 

Innover de façon durable en médecine digitale, pendant la pandémie

De nouveaux paradigmes médico-économiques sont nécessaires pour innover de la bonne façon la médecine digitale à l’ère de la pandémie : les soignants risquent de ne pas adopter des outils qu’ils n’ont pas co-développés, ou qui ne sont pas suffisamment simples à comprendre. 

Pour avancer de façon pertinente, trois pistes sont possibles. 

Premièrement, il faut favoriser (et financer massivement) les initiatives open source. Ces dernières impliquent que les détails de développement des technologies développées sont accessibles par tout le monde : ceci rend la technologie immédiatement plus transparente, digne de confiance (tant de la part des soignants que des citoyens et les décideurs) et donc plus susceptible d’être adoptés par le monde soignant. 

Deuxièmement, une technologie émanant d’une collaboration multidisciplinaire (incluant des soignants), sera largement préférée à de multiples solutions pour des problèmes scientifiques : en d’autres termes, les plateformes incluant plusieurs implications intégrées et interopérables, plutôt que des applications isolées, serviront à la gestion de la sortie de crise.

Troisièmement, de solutions innovantes doivent être exploitées pour garantir la sécurité de la gestion digitalisée de la pandémie : les technologies blockchain se prêtent particulièrement bien à cette situation, puisqu’énormément d’acteurs (médecins traitants, hôpitaux, assurances, compagnies télécom, État fédéral, mutualités, assurances, etc.) pourront fournir des informations, mais aucun d’entre eux ne devraient disposer de toutes les informations en même temps.

En conclusion, il est important de définir le champ d’action et l’importance de la médecine digitale au sein la gestion de la pandémie Covid-19 : par la suite, viendra le temps de débattre sur le pourquoi ces technologies vitales ont pu tellement faciliter la vie des citoyens et des soignants en ces temps difficiles.

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.