Les essais cliniques seront connectés… ou ne seront plus! (Dr G.Briganti)

La compagnie américaine 23andMe, spécialisée dans l’analyse génomique on-demand, a signé un accord avec TrialSpark afin d’accéder à un immense réseau de patients volontaires et ainsi réaliser des études cliniques à grande échelle. Pourquoi ce type d’initiative (loin d’être la seule dans le domaine) va révolutionner l’approche aux essais cliniques, et pousser les universités dans un rôle de partenaire secondaire ? 

Conduire un essai clinique, c’est assez compliqué pour nos médecins chercheurs pour deux raisons principales. 

Premièrement, il faut obtenir une bourse de recherche, parcours tortueux et incertain où seul un projet parmi des dizaines, des centaines pourra obtenir un financement ; ceci est indispensable afin de pouvoir marquer, en fin de manuscrit (si on en arrive là, ce qui n’est pas toujours le cas), la magique phrase « Conflicts of Interest : none » (« les auteurs déclarent qu’il n’y a pas de conflits d’intérêts »). 

Ou bien, s’affilier avec une industrie pharmaceutique, sachant que dans le monde académique actuel, le papier produit sera analysé et critiqué abondamment en cherchant des failles méthodologiques visant en une quelconque manière à favoriser la firme pharmaceutique finançant le projet. Pour cette option, les conséquences pour les auteurs peuvent être manifestes (à titre d’exemple voir la grosse chute de l’article NEJM sur l’ezetimibe) [1]. 

Deuxièmement, il faut recruter des patients. Cette phase est la plus problématique dans les essais cliniques, car il faut atteindre une masse critique de données et pouvoir en tirer des conclusions opérationnalisables pour la population et susceptibles à se reproduire dans le futur. La lourdeur administrative et surcharge de travail que pose une étude clinique dans un hôpital universitaire pour cette deuxième étape est parfois le frein majeur à l’aboutissement d’un projet de recherche. 

Ça ne sera peut-être plus jamais le cas. 

Avec l’apparition des technologies médicales augmentées, les « health data platforms », plateformes connectées pour le stockage de données médicales accessibles à tout moment par le patient sont à l’origine de chiffres d’affaires colossaux. À titre d’exemple, citons doc.ai (plateforme cash-for-data rémunérant les individus pour leurs données à des fins de recherche), ou encore TrialSpark. Cette dernière a développé un plan stratégique spécifique à la réalité des soins de santé peu accessibles aux États-Unis : permettre aux patients atteints d’une maladie de s’enregistrer comme potentiel patient volontaire afin de recevoir gratuitement des traitements de pointe dans le cadre d’une étude scientifique. 

23andMe a signé un accord avec cette dernière entreprise, en ciblant son réseau de patients bien développé. La société américaine est spécialisée dans l’analyse génomique on-demand (le sujet reçoit à la maison un tube à renvoyer avec sa salive, et reçoit in fine un rapport avec une analyse sur génome). Cette dernière est à la recherche de données non-génétiques afin de choisir les meilleurs sujets pour les études cliniques. 

La facilité pour les patients recrutés dans les études avec ce type de méthodologie est vite comprise : pas de démarche administrative afin d’accéder à l’étude clinique, tout se passe sur smartphone de façon très confortable à la maison, plusieurs propositions de participation à d’études cliniques sont offertes chaque jour en proximité du domicile, avec peu de contacts physiques et juste là où il le faut. Un pas plus loin, le monitoring décentralisé des patients participant à une étude clinique devient de plus en plus possible avec l’apparition de dispositifs de monitoring connectés afin d’éviter les gros effets secondaire, couplés à une téléconsultation rapide si nécessaire. Cette réalité est des années lumières de ce que nous connaissons actuellement dans nos standards d’étude.

L’obstacle du recrutement est donc levé, et celui des fonds de recherche n’a jamais été présent pour de telles sociétés. Mais alors, a-t-on encore besoin du duo Université-Hôpital Académique pour faire des études cliniques ? 

À l’heure actuelle, les entreprises se lançant dans le nouveau health business (géants technologiques, pharma, compagnies d’assurance, vente et nutrition) s’associent souvent avec un duo réputé université-hôpital afin de faciliter le processus d’appropriation des résultats par le reste du corps scientifique. En matière d’avancées en santé connecté, l’Université prend souvent le rôle de copilote et n’est donc plus le protagoniste principal dans le spotlight. 

Est-ce que cela risque de se reproduire avec les essais cliniques ? 

La réalité est que les sociétés évoquées ci-dessus frappent là où ça fait mal, c’est-à-dire le tabou de la relation client-fournisseur entre les patients et les professionnels du monde hospitalier. Les stratégies de communication et l’orientation client des entreprises arrive à recruter un nombre colossal de patients en leur donnant une reconnaissance souvent oubliée dans le secteur de soins : il suffit de jeter un coup d’oeil au site de TrialSpark ou doc.ai pour comprendre que le citoyen est présenté comme le protagoniste de la recherche clinique.

Cette approche compte néanmoins des pièges considérables. A titre d’exemple, l’accord de $ 300 millions entre 23andMe et GSK pour l’obtention de cette dernière de toutes les données génétiques de 23andMe, le démantèlement de la part de Google du comité d’éthique indépendant de DeepMind une fois le rachat terminé. 

Le monde académique classique se retrouve rapidement dépourvu face à un monde commercial dont l’approche de l’éthique reste peu définie ; ces derniers pourtant arrivent à fidéliser des patients à un rythme non atteignable par nos structures de recherche clinique.

De nouveaux types de partenariats doivent donc se former au sein de nos institutions de recherche afin de rester, pour le bien des patients et notre système de soins de santé, « second to none ».

Lire aussi : La recherche scientifique par appli interposée ?

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