Les médecins doivent-ils craindre le projet Vidis ?

Jacques De Toeuf (ABSyM) ne mâche pas ses mots quand il évoque le projet inamien Vidis, qui tend à l’intégration virtuelle de données liées aux médicaments. Plus précisément, il fustige la position des pharmaciens qui, dit-il, exercent un chantage pour obtenir des médecins leurs diagnostics. L'APB répond.

Vidis, pour Virtual Integrated Drug Information System, s’inscrit dans la (dernière) roadmap de l’e-santé. Il vise à construire un dossier de médication multidisciplinaire partagé qui va livrer une vue d’ensemble et actualisée des traitements prescrits et/ou délivrés à un patient. Vidis s’abreuve à de multiples sources, dont Recip-e ou les coffres-forts des réseaux de santé régionaux. « S’y ajoute le DPP, le dossier pharmaceutique partagé », complète le Dr De Toeuf, « système auquel la toute grosse majorité des pharmaciens sont inscrits, voyant ce qui a été délivré à une même personne dans d’autres officines. Une note au comité de l’assurance de fin mai en atteste : FarmaFlux, [l’asbl faîtière des unions professionnelles de pharmaciens, gérant l’échange de données de et vers les officines] mettrait à disposition du patient, dans le cadre de Vidis, des extraits du DPP. Dans une phase 2, il l’ouvrirait à l’équipe de soins, mais les pharmaciens conditionnent ce partage au fait que le prescripteur mentionne dans sa prescription l’indication », s’indigne-t-il.  

Le Président honoraire de l’ABSyM n’est pas follement convaincu par les études - « américaines ou canadiennes, par exemple, donc reflétant des systèmes de santé fort différemment organisés… » - avancées comme argument par les pharmaciens. Lui subodore plutôt des velléités d’immixtion dans la prescription et s’étonne que cela suscite si peu d’émoi dans d’autres groupements de médecins. Pour lui, « les pharmaciens grignotent du terrain et des prérogatives ». Et d’illustrer avec le récent feu vert légal qu’ils ont obtenu (Moniteur 20/8/2020) de délivrer la pilule du lendemain sans prescription et avec remboursement immédiat. 

Pour Jacques De Toeuf, les démarches de l’APB, l’Association pharmaceutique belge, traduisent la « planification organisée d’une évolution de rôle. Avec la concurrence de la pharmacie en ligne, ils doivent se repositionner. Ils se sont posés comme conseillers, puis pour prendre la tension des gens. Ils font la 1ère ligne. Et à présent, ils négocient l’accès à l’indication contre l’accès à leur DPP. Attention à ne pas surestimer la plus-value à attendre de ce dernier. Notamment car il y a discordance entre ce qui est délivré et réellement consommé. Le prix à payer pour accéder à ce DPP est haut - laisser les pharmaciens se plonger dans les problèmes de santé des gens. J’estime que ce n’est pas leur vocation, formation et mission. Dans une phase 3, les verra-t-on devenir prescripteurs de traitements aux malades chroniques ?» 

« Pour moi, généralistes comme spécialistes sont, depuis 10 ans, arrivés à un tel point de saturation qu’ils soupirent et vous disent ‘laissez-moi faire mon métier’ », ajoute-t-il encore. D’où l’inertie du corps médical devant de tels scénarios « conçus au comité d’accompagnement de Vidis. Mais quand le comité de l’assurance a été invité, en juin, à donner son accord de principe, croyez-moi, j’ai fait du pétard ! » Moralité, poursuit-il, « Jo De Cock a dit : ‘on va revoir le sujet’ ». (*)

Les pharmaciens appellent au dialogue 

« Les problèmes liés au bon usage sont le manque d’adhésion au traitement, la faible littéracie en santé et la polymédication – qui impactent les finances publiques. Si le pharmacien n’a aucune connaissance de ce pourquoi la molécule a été prescrite, il doit se lancer dans un gymkhana de questions auprès du patient pour jouer pleinement ce rôle. Et ce, alors qu’on estime que 40% des Belges n’ont pas compris leur pathologie. Il faut éviter que nous ne donnions de mauvaises explications en interprétant mal l’intention thérapeutique. Nous avons besoin de l’indication. »  objecte Alain Chaspierre, porte-parole de l’APB. 

Mais les pharmaciens ne disposent-ils pas déjà, via le sumehr, des traitements, allergies et intolérances ? « Dire qu’on accède aux sumehrs via le Réseau santé wallon ne correspond pas à la réalité du quotidien. Ces infos, on ne les a pas facilement, cela exige des manœuvres à l’écran. Nous sommes en discussion avec eux pour une meilleure intégration. » Alain Chaspierre ne nie pas que les pharmaciens conditionnent l’accès au DPP au fait d’obtenir l’indication. « Les échanges ne peuvent pas être à sens unique. On est prêts à partager le DPP – qu’il n’y ait pas eu délivrance est une info importante pour un prescripteur - mais souhaitons en retour obtenir ce dont nous avons besoin pour notre mission de santé publique d’accompagnement. » 

Le porte-parole de l’APB insiste : ce point de l’indication figure de longue date dans Vidis, qui lui-même n’est pas neuf. D’où son étonnement face à l’actuel « rétropédalage ». Il lance un appel au dialogue, dans des cénacles où, dit-il, les détracteurs ne laisseront pas la chaise vide. Il suggère le cadre de la CMP (concertation médico-pharmaceutique), asbl où médecins et pharmaciens sont rassemblés. 

(*) A l’issue de leur dernière AG, fin septembre, les cercles wallons de MG ont écrit à l’Inami pour signifier le « refus de partager l’indication d’une médication, donc le diagnostic - une donnée trop sensible, le cœur du dossier médical - avec toute l’équipe de soins ». Ce qui inclut le pharmacien.

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.

Derniers commentaires

  • Charles KARIGER

    06 octobre 2020

    Tout d'abord, je ne suis pas certain qu'un(e) pharmacien(ne) différencie clairement une bursite d'un hygroma, pas plus que je ne sais établir l'ordre d'incorporation (ni les températures) des composants des crèmes magistrales que je prescris. A chacun son métier. Je me garde donc bien d'intervenir après avoir écrit "ut fiat secundum artem".
    Je reconnais volontiers le droit, le devoir même du pharmacien de sursauter s'il lit "mg" de thyroxine et non "µg" mais pas celui d'intervenir dans ma décision thérapeutique.
    D'autant que bien souvent, son intervention ne sera pas fondée sur une pratique thérapeutique mais sur les résultats des négociations entre firmes pharmaceutiques et SPF des... Affaires Économiques!
    Le porte-parole de l'APB, ai-je lu évoque « Les problèmes ... qui impactent les finances publiques."
    Nous y voilà. c’est le cœur du projet: cornaquer ces idiots de médecins nullement pour améliorer la santé des Belges mais pour réduire la facture des soins.
    Et tant pis pour nos Patients.
    Faudra-t-il s'habituer à une horrible équation "Pharmacien = flic économique"? J'ose espérer que la plupart des pharmaciens s'y opposent et que leur Ordre interviendra promptement pour mettre fin à cette déviance.