La Belgique : un écosystème mature pour les startups e-santé? (Dr Y. Bakhouche)

Je dois admettre que le titre interpelle surtout en ce moment, mais il est vrai que de nombreuses jeunes entreprises dans le domaine de la santé éprouvent des difficultés pour se faire une place dans l'écosystème belge. Pourtant, le secteur des technologies médicales représente 3,4 milliards d'euros en termes de chiffre d'affaires, ce qui est colossal, et chaque startup a envie de devenir la licorne de demain.

Je ne parlerai pas ici d'innovations en Biotech qui est à un autre niveau plus développé et dont nous connaissons la valeur apportée et l'expertise des firmes en biotechnologie ; j'axerai mon argumentaire sur des innovations en e-santé tels que des applications mobiles, logiciels mais aussi des innovations technologiques.

Les entrepreneurs sont confrontés au défi de donner de la valeur à leur startup auprès des clients potentiels, plus précisément les patients, mais aussi les hôpitaux, tout en élaborant une stratégie efficace pour s'intégrer dans cet écosystème qui est, à mon sens, complexe, et je vous explique pourquoi.

Plusieurs raisons expliquent cette situation, notamment la complexité organisationnelle du secteur de la santé qui est ultra compartimenté, le manque de confiance dans les nouvelles technologies par les prestataires de santé, les problèmes liés à la législation et à la protection de la vie privée, ainsi qu'un certain manque de connaissance du terrain de la part des startups qui ralentit le développement de leur business. Cependant, malgré ces obstacles, de nouveaux incubateurs jouent un rôle crucial en aidant les entrepreneurs à mieux comprendre l'écosystème et à relever ces défis, tout en garantissant des fonds d'investissements privés et européens comme Ehealth venture et sa virtuose équipe. Certaines startups, comme Dermatoo, ont développé un système pour assurer le suivi à distance de la cicatrisation des blessures, ont notamment réussi à se démarquer et sont en voie de développement avec des fonds conséquents, ce qui démontre que la réussite est possible malgré les difficultés. Mais aussi "Mintt," entreprise wallonne dans sa solution de détection et de prévention des chutes des patients destinée aux établissements de santé.

La complexité du système de santé belge n'est pas un secret, en particulier avec le partage des compétences entre les différentes entités fédérées. En Belgique, par exemple si les startups souhaitent proposer une solution pour améliorer la prévention pour une pathologie précise, il faut savoir que les soins préventifs relèvent à la fois des entités fédérées et des compétences fédérales. Il est important de rester attentif aux champs de compétences respectifs. Pour résumer, ce qu'il faut retenir c'est que les soins préventifs individuels relèvent de la compétence fédérale, qui les finance, tandis que les soins préventifs collectifs et leur organisation sont attribués aux entités fédérées. Il est à noter aussi que l'organisation des remboursements peut différer entre les Régions, mais pas systématiquement. Cette fragmentation des compétences dans le système de santé rend la politique de santé difficile à comprendre pour les startups, mais cela est pourtant fondamental pour espérer réussir dans ce domaine. Nous pouvons même jouer à une devinette ensemble : le gouvernement souhaite mettre en place le trajet des soins pour les enfants obèses, vous pouvez chercher qui est responsable de quoi en termes du curatif, préventif et remboursement en fonction des entités fédérées et ça devient un peu plus compliqué à comprendre.

D'autre part, chaque hôpital a ses propres besoins et idéologies, ce qui rend difficile l'implémentation d'une solution standardisée. Pour les startups qui cherchent à se développer rapidement et à scaler leur solution, cette situation exige beaucoup d'efforts et de temps pour s'adapter aux besoins spécifiques de chaque institution, ce qui complique encore plus leur capacité à se développer à grande échelle. Ce qui explique que les startups vont plutôt chercher un besoin commun le plus possible pour proposer une solution efficace et rassurer les investisseurs.

L'interopérabilité des systèmes médicaux est un enjeu crucial, notamment parce que les hôpitaux utilisent souvent des systèmes différents pour gérer les informations médicales, rendant difficile la proposition d'une solution standardisée par les startups. Pour réussir à dépasser cette étape, les startups doivent recruter des talents ayant une excellente connaissance du système de santé belge et en IT, y compris dans les moindres détails du processus, dénicher des "super" talents et faire du sourcing.

La législation concernant la protection de la vie privée représente aussi un véritable défi pour les startups de santé. Obtenir l'accès aux données personnelles des patients tout en respectant les règles de confidentialité peut être complexe et fastidieux, voire impossible. Les startups ne peuvent pas avoir accès aux données médicales sans autorisation, sans consentement, et sans un cadre juridique clair, il est parfois difficile de tester des solutions startups surtout dans le domaine de l'e-santé sans avoir une vision claire de l'utilisation des données médicales. Les entrepreneurs doivent être attentifs aux réglementations telles que le RGPD pour garantir la conformité tout en développant leurs solutions innovantes. Pour rappel, les données médicales sont collectées dans des registres médicaux spéciaux pour le suivi des maladies, la qualité des soins, et la recherche. Cependant, toutes ces informations sur l'état de santé et les soins de santé de la population générale sont fragmentées entre les organisations et les systèmes dont je ne détaillerai pas ici. Bien que des progrès aient été réalisés pour rendre ces données standardisées et récupérables, il reste encore des défis à relever pour faciliter leur utilisation et leur réutilisation à des fins de politique et de recherche scientifique. Suivant les dernières avancées politiques, une agence de données médicales devrait voir le jour pour permettre l'exploitation des données pour les institutions publiques, les entités fédérées, et pour les solutions innovantes, je l'espère.

Ce que je constate, c'est que le manque de connaissances approfondies du terrain et du fonctionnement des hôpitaux peut entraver la croissance des startups. Afin de répondre aux besoins réels du secteur hospitalier, il est essentiel de comprendre pleinement les défis auxquels font face les acteurs de la santé. Pour cela, il est nécessaire de s'entourer de prestataires de soins pour appréhender l'enjeu médical et évaluer la réelle valeur ajoutée de la solution proposée. L'intégration des nouveaux développements basés sur des preuves solides, efficaces et bénéfiques pour la santé est un objectif à atteindre dans l'écosystème. Les entrepreneurs doivent également relever les enjeux liés à la validation clinique et à l'adoption de la technologie par les professionnels de santé. Dans cette optique, la collaboration avec des médecins, et parfois avec des assureurs selon certaines conditions, ainsi que des experts en santé, est indispensable pour élaborer une stratégie gagnante. A contrario, il est primordial de renforcer les connaissances des prestataires de santé en matière de technologie médicale et d'accorder une attention accrue aux technologies médicales dans la formation des futurs prestataires de soins, ainsi que dans les programmes de formation continue pour les soignants.

En conclusion, malgré les difficultés rencontrées et l'écosystème santé qui n'est pas encore propice à l'émergence de solutions innovantes et convaincantes, les startups de santé en Belgique ont un rôle crucial à jouer dans l'innovation du secteur de la santé. En collaborant étroitement avec les acteurs du secteur, en surmontant les obstacles liés à la législation et en développant des modèles économiques solides, ces jeunes entreprises peuvent apporter des solutions novatrices pour améliorer la qualité et la sécurité des soins de santé. L'interopérabilité des données médicales est également un enjeu majeur à relever pour favoriser la coordination des soins et permettre aux patients d'avoir un accès complet à leurs informations médicales. Avec le soutien d'incubateurs et des politiques, les startups de santé peuvent jouer un rôle clé dans la transformation du secteur et contribuer à l'amélioration de la santé de la population belge.

> Suivre le blog du Dr Yannis Léon Bakhouche

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.