Le Plan d’action de contrôle dans les soins de santé 2024-2026 ouvre une nouvelle ère pour la santé en Belgique. Au centre du dispositif figure Data Flow 2.0, une plateforme où l’Inami et les mutualités échangeront quotidiennement des données. Ce système doit permettre de lutter contre la fraude et d’améliorer la qualité, mais place les médecins sous une surveillance permanente, assurée non par leurs pairs, mais par des algorithmes, des inspecteurs et des analystes de données.
La semaine dernière, le Dr Jacques de Toeuf (ABSyM) a tiré la sonnette d’alarme dans Medi-Sphère et Le Spécialiste face à « l’emprise croissante de l’État sur la pratique médicale ». L’examen d’une série de textes législatifs, de notes de l’INAMI et de documents de politique met, selon lui, « en lumière un système extrêmement préoccupant pour tous ceux qui fournissent des prestations ».
Le Plan d’action 2024-2026 est déjà le quatrième du genre, élaboré à chaque fois à la demande du ministre de la Santé publique. Cette nouvelle édition marque un tournant : avec le SPF Santé publique, l’IMC et l’IMA, l’Inami construit un mécanisme de surveillance permanent des médecins, assuré par des algorithmes, des inspecteurs, des analystes de données et des mutualités, mais non par des confrères.
Au cœur du dispositif figure Data Flow 2.0. « Avec le projet Data Flow, nous construisons une nouvelle plateforme de données. Sur cette plateforme, les informations de santé que l’INAMI et les mutualités échangent seront partagées quotidiennement. Ainsi, chaque partie aura un accès direct aux données d’intérêt commun. »
Ces données couvrent notamment les prestations, prescriptions, remboursements et numéros Inami. Elles sont collectées automatiquement, centralisées et partagées. Chaque acte médical devient ainsi visible, mesurable et comparable. Tout médecin qui s’écarte des normes apparaît immédiatement dans le viseur.
Analyses de risque et profils individuels
Là où autrefois un contrôle était déclenché par une plainte ou un soupçon, l’Inami adopte aujourd’hui une approche proactive fondée sur l’analyse de données. « Nous mettons l’accent sur des actions qui partent de nos propres analyses de risque », indique le plan. Les prestataires recevront un profil individuel leur permettant de comparer leurs prestations à celles de leurs collègues. « Lorsqu’ils constatent qu’ils s’écartent de la moyenne, ils sont plus enclins à adapter leur comportement », souligne encore le document.
Mais le praticien n’a accès qu’à son propre profil, qui le confronte aux moyennes et aux normes. « Toutes les données doivent aussi être mises à la disposition des médecins eux-mêmes », a insisté Lieselot Brepoels (ASGB).
La réponse de l’Inami
En réaction à l’article publié la semaine dernière par le Dr Jacques de Toeuf, l’administrateur général de l’Inami, Benoit Collin, a tenu à préciser que « le SECM agit dans le cadre fixé par la loi votée par le parlement et dans un cadre strict des pouvoirs d’évaluation, d’information et de contrôle, ainsi que des moyens de défense et de recours des prestataires ». Il rappelle que la Commission antifraude (CAFC), placée sous sa présidence et coordonnée par la direction générale du SECM, prépare et propose un plan pluriannuel d’« utilisation adéquate de la réglementation », validé par le Conseil général de l’assurance soins de santé.
« Rien de caché, aucun complot », insiste-t-il, soulignant que les données sont utilisées « pour détecter des utilisations erronées, inefficientes ou frauduleuses au détriment de la sécurité sociale et des moyens disponibles pour honorer les prestataires et rembourser les patients ». Selon lui, les rapports annuels du SECM, du SCA et du SIRS démontrent que cette approche collective est « plus efficace que des contrôles individuels » pour assurer une bonne utilisation des ressources limitées — « 45 milliards quand même » — de l’assurance soins de santé.
« La fraude doit être poursuivie, mais aussi une utilisation inefficiente ou incorrecte des prestations », conclut-il, tout en se disant « toujours prêt à en débattre sans diaboliser ni le contrôle ni les prestataires ».
Le pouvoir de l’Inami
Ces explications n’atténuent toutefois pas les inquiétudes exprimées par les syndicats médicaux. Le plan d’action prévoit en effet des mécanismes de sanction et de contrôle qui vont bien au-delà d’un simple outil de monitoring.
L’Inami se réserve le droit d’imposer de manière autonome des sanctions, sur la base de ses propres constats ou de ses analyses de risque, sans contrôle juridique préalable. « L’administrateur général peut infliger une sanction administrative à un prestataire de soins, sans intervention d’une instance judiciaire », précise le plan.
Selon le Dr Jacques de Toeuf, les inspecteurs auront également accès aux données bancaires. Personne ne conteste la nécessité de cibler les fraudeurs, mais la formulation du plan ouvre la voie à une interprétation large : « Nous voulons éviter qu’un fraudeur connu continue à frauder ou qu’un prestataire suspendu ou radié continue malgré tout à facturer. »
Pour ce faire, l’Inami prévoit un couplage avec le numéro de compte bancaire. « Lorsqu’une facturation a lieu, le paiement doit être effectué sur un compte lié au numéro Inami. Si ce n’est pas le cas, le paiement n’aura pas lieu. » Les services d’inspection disposeront en outre de la compétence pour « obtenir des informations sur le titulaire d’un compte bancaire via la Centrale des numéros de compte de la Banque nationale de Belgique ». Ce lien financier entre numéro Inami et compte bancaire permet de bloquer automatiquement un paiement, indépendamment d’une décision judiciaire.
Contrôles multidisciplinaires et exclusion de fait
Les contrôles seront désormais menés par des équipes multidisciplinaires : « Nous travaillons avec des équipes composées d’inspecteurs, d’analystes de données, d’actuaires et d’experts de domaine » (p. 15). À aucun moment il n’est garanti qu’un médecin soit évalué par un confrère. L’acte médical est soumis à une logique administrative et technique, sans validation médicale de fond.
Le plan confirme les craintes du Dr Jacques de Toeuf : chaque prescription, attestation ou facture peut constituer le point de départ d’une inspection. Toute déviation par rapport aux protocoles, volumes standards, directives ou fréquences est détectée par le data mining. Même lorsqu’elle est médicalement justifiée, cette déviation est enregistrée, classifiée et intégrée à un profil de risque. Celui-ci détermine si le médecin est ciblé pour inspection ou sanction. Dans les cas extrêmes, le numéro INAMI peut être bloqué.
Cela ne signifie pas une interdiction d’exercer. En théorie, le médecin peut continuer à travailler, mais ses prestations ne sont plus remboursées. Il est par ailleurs tenu d’en informer clairement ses patients. Officiellement, il n’est pas « mis hors d’état de nuire », mais il est de fait exclu du système.
Certaines parties du plan sont déjà intégrées dans la loi-cadre du ministre Frank Vandenbroucke. Les syndicats médicaux ont obtenu quelques corrections, notamment sur le rôle de l’administrateur général. Mais l’application de ce dispositif de sanctions ne pourra être au mieux que retardée, sauf si les syndicats réussissent à organiser un recours juridique efficace.
> Découvrir l'intégralité du Plan d'action 2024-2026
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> « Il y a de gros cas de fraude avec les prestataires de soins de santé » (Vandenbroucke)
Derniers commentaires
Donald Vermer
23 aout 2025C'est fort
Dr Vermer
Paul Henri Coen
22 aout 2025Comment nos "responsables"politiques peuvent-ils réduire l'exercice de la médecine à des normes pratiques dont il faudrait contrôler le suivi et sanctionner le dépassement par des moyens ne respectant ni les libertés ni les droits individuels?
La médecine est un art: l'art de guérir même s'il s'agit de guérir parfois, soulager souvent et soigner ou consoler toujours.
Paul Henri Coen.
Philippe VAN VLAENDEREN
22 aout 2025Toutes les professions ont besoin d'être surveillées et les médecins ne font pas exception. Les cas de fraude par des médecins (y compris professeurs d'université) sont connus et je crains que beaucoup aient échappés aux contrôles précédents insuffisants. Ces fraudes punissent les malades et les autres médecins. L'Inami est responsable du contrôle de cette fraude et je soutiens un contrôle plus efficace. Seuls les fraudeurs doivent avoir peur. Les médecins honnêtes n'ont rien à craindre. Le syndicat médical a pour fonction de défendre les médecins honnêtes et pas les médecins fraudeurs.
Charles PARMENTIER
22 aout 2025Et comment seront valorisées les sur-spécialisations (maints DIU), le plus souvent autofinancées, et non reconnues par l’INAMi …. Et pourtant au service des patients…
Bruno LULLING
21 aout 2025La Médecine n’est plus une profession libérale mais illibérale…
Sébastien HUGON
21 aout 2025C’est complètement terrifiant. Qui pourra encore exercer ce métier avec le moindre épanouissement, hors les bureaucrates et les laborantins? Quand est-ce que cette criminalisation a priori prendra fin? Quand les prestataires plus compétents que le ministre auront tous cessé d’exercer ?
Jean Paul Daxhelet
21 aout 2025... Pire que le NHS britannique ????
Jean-Louis MARY
21 aout 2025La Stasi se met en place …