«Avec l’IA, on va vers des spécialistes augmentés»

Le 1er mai dernier se tenait un webinaire sur le premier baromètre sur l’adoption de l’intelligence artificielle dans les hôpitaux en Belgique. Les résultats de l’enquête ont été présentés et commentés par plusieurs intervenants
représentant le monde académique, politique, hospitalier et médical.

Avec le Dr Giovanni Briganti comme modérateur, le débat a permis une franche discussion entre les différents intervenants. Loïc Chabanier, du bureau de consultants EY, en charge de l’étude, a rappelé que pour faire avancer le débat sur l’intelligence artificielle, «il faut aligner plusieurs composantes en même temps: la technologie, l’organisation, l’information, le modèle économique, la gouvernance et mettre en place un cadre de travail». Pour lui, «l’IA est une innovation de rupture. Il est encore très difficile d’imaginer quels seront les usages dans plusieurs années. Aujourd’hui, on ne doit pas hésiter à s’inspirer de ce qui se fait au Canada et en Israël par exemple en la matière».

Il a rappelé que «l’étude montre une véritable volonté des acteurs de vouloir aller dans cette démarche de coconstruction. Évidemment, il faut choisir les domaines où l’on peut aller chercher de la valeur ajoutée comme pour le diagnostic, la surveillance, l’automatisation d’un certain nombre de tâches…» Il attire enfin l’attention sur un aspect important: «On dit souvent que l’intelligence artificielle va permettre à l’hôpital de mieux fonctionner. Toutefois, elle ne va pas lui offrir plus de lits ou d’infirmières».

Un médecin en évolution
Pour sa part, la Dr Anne Peretz, secrétaire du board d’AI4Health, professeur émérite à l’ULB Bruxelles, insiste sur le fait que «les médecins spécialistes ne vont pas pouvoir seulement rester des experts dans leur domaine mais ils vont devoir acquérir des compétences en dehors de la médecine et, pourquoi pas, avoir des compétences en ingénieur, en chimie, en informatique. On va vers des spécialistes augmentés…»

Mathieu Michel, secrétaire d’Etat au Digital, ajoute qu’«il faut investir pour avoir un véritable leadership à ce niveau avec des solutions intelligentes et innovantes». Ce sera d’autant plus important que, pour le Dr Gilbert Bejjani, secrétaire général de l’ABSyM, «la meilleurefaçon d’intégrer les médecins au défi de l’IA, c’est le partenariat et la collaboration.

La qualité devra être mesurée et dès qu’elle sera avérée cela permettra de dégager de la marge pour financer de l’innovation». Cet aspect, Paul d’Otreppe, président de l’Association belge des directeurs d’hôpitaux en est conscient: «On est à l’aube d’une véritable transformation. Il faut aussi avoir conscience que toute la transformation digitale ne se limite pas à l’intelligence artificielle». Cette révolution ne pourra pas se faire sans le médecin comme le rappelle Azèle Mathieu, directrice de l’innovation chez MSD Belgium: «Les technologies les mieux adoptées sont co-créées en tenant compte du feedback de l’utilisateur. Si le corps médical perçoit mal un nouveau software, c’est qu’il y a eu un manque d’échange à la conception. On ne développe pas une nouvelle technologie «pour» mais «avec»».

Le webinaire, qui a réuni plus de 300 participants sur près de 500 inscrits, pourra être revu à la demande sur le site du Spécialiste et des différents partenaires.

Conclusion de l'enquête: 4 enjeux identifiés
Le baromètre sur l’adoption de l’intelligence artificielle dans les hôpitaux de Belgique brosse un tableau des attentes et des freins à la réalisation des projets. Dans un écosystème encore peu mature, 4 enjeux peuvent être identifiés pour soutenir le développement de l’IA à hôpital.

Bien que le développement de l’intelligence artificielle soit considéré comme une priorité par plus de 95% des répondants, seuls 41% estiment que c’est actuellement une priorité stratégique dans leur propre hôpital. Il est ainsi nécessaire que les hôpitaux définissent une feuille de route «IA» claire, reposant sur des cas d’usages identifiés et fixant des objectifs à atteindre. Cette feuille de route pourra être portée par une direction dédiée ou la direction de la stratégie selon les organisations et cultures hospitalières.

Le manque de temps et de ressources, ainsi que l’absence d’expertises spécifiques à l’IA, sont identifiés comme les principaux freins à la mise en œuvre des projets. Dans un contexte médico-économique complexe, et fortement impacté par la crise sanitaire, il est nécessaire que les hôpitaux disposent de ressources pour conduire ces projets stratégiques. En effet, seulement respectivement 13% et 34% des répondants pensent que leur hôpital dispose d’ingénieurs en IA et de data managers. Le développement de partenariats avec des acteurs privés apparaît comme une solution prometteuse pour la mise en œuvre de ces projets. Néanmoins, il ne constitue pas la panacée et masque un besoin de soutien complémentaire de la part des acteurs publics.

L'une des principales craintes, exprimée par 59% des répondants, est que l’IA conduise à une déshumanisation du travail. Plus largement, les impacts organisationnels de l’IA – et notamment le besoin de transformer les parcours de prise en charge et les processus – font l’objet d’un large consensus. De ce fait, la création de communautés de partage d’expérience entre établissements, qui redonnerait du lien social entre praticiens et experts de l’IA et favoriserait le transfert des bonnes pratiques, apparaît comme un levier d’accélération des projets d’IA et elle est plébiscitée par 94% des répondants.

De telles communautés permettront également de répondre aux craintes exprimées en illustrant la réalité des usages de l’IA dans un contexte hospitalier.

Au-delà des évolutions organisationnelles et des pratiques internes aux hôpitaux, le développement de l’IA repose sur la massification et l’utilisation de grands volumes de données, la refonte des parcours de prise en charge et de leur financement ou encore la définition d’un modèle de responsabilité clair entre le médecin et son outil. Ces enjeux complexes ne peuvent être uniquement adressés au niveau local et doivent faire l’objet de travaux fédéraux et régionaux. La définition d’un modèle pérenne pour le développement et l’usage de l’IA en Belgique sera un levier d’accélération des initiatives menées au sein des hôpitaux.

L'étude a été menée par voie digitale entre  le 15 février et le 31 mars 2021.
241 personnes ont répondu. 58% NL - 14% Bxl - 28% Wallonie.
Direction hôpitaux: 17,3%, Médecins: 75,1%, Autres: 7,6%
23% issus de CHU ou hôpitaux de plus de 1000 lits
62% issus d'hôpitaux entre 200 et 1000 lits
8% issus d'hôpitaux de moins de 200 lits
7% autres

Voir ou revoir le webinar

> Lien vers le Webinar : https://player.vimeo.com/video/544594543

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